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Description du Café de la Régence en 1925

Dominique Thimognier, que je remercie, m’a envoyé un article paru dans The American Chess Bulletin en 1925. Il s’agit d’une lettre d’un joueur d’échecs américain, un certain Rodney Berg du Marshall Chess Club à New-York, et qui effectue un voyage de noce en Europe. Il se rend au Café de la Régence lors de son séjour à Paris et il en donne la description.
Ce texte est très intéressant pour les détails indiqués. Il existe peu de texte connu concernant la décennie 1920 au Café de la Régence. En 1925 l’activité « jeu d’échecs » au Café de la Régence est selon moi marginale. Les joueurs organisés en association ont quitté la Régence en 1918 et sont désormais au Café de la Rotonde dans le jardin du Palais-Royal. Les joueurs d’échecs à la Régence en 1925 sont pour la plupart des touristes amateurs du jeu d’échecs.
Un point important : à aucun moment les joueurs d’échecs de la Régence n’adhéreront à la Fédération Française des Échecs. Il n’y a pas vraiment d’association constituée.
Voici le texte traduit de l’américain. J’y ajoute quelques commentaires.

LE LIEU DE RENDEZ-VOUS DE CAISSA À PARIS

Les joueurs d’échecs américains voyageant à l’étranger, parfois au milieu de leur plaisir, pensent aux gens de chez eux et rendent compte de leurs pérégrinations et des impressions que leur ont faites les sites qu’ils ont vus. C’est le cas du capitaine L. Rodney Berg, du Marshall Chess Club, qui, depuis son mariage à New York le 6 juin dernier, a passé sa lune de miel en Irlande, en Angleterre, en Écosse, en Belgique, en France, en Suisse et en Italie.

Pendant son séjour à Paris, le Capitaine Berg s’est arrêté au Café de la Régence et ce sont ses visites dans ce célèbre lieu de rencontre des joueurs d’échecs du monde entier qui l’ont incité à prendre sa plume pour le bénéfice des lecteurs du Bulletin :

Café de la Régence, Paris, 20 juillet 1925.
Au rédacteur en chef, American Chess Bulletin. 

Mon cher Monsieur Helms :

Je ne peux résister à la tentation de vous laisser quelques lignes de ce Café historique. Je les écris, comme vous le constaterez, sur le papier à lettres du Café de la Régence. Je viens de terminer un déjeuner très appétissant, tout seul, avec une petite bouteille d’excellent Médoc, qui a coûté la somme énorme de 23 cents en monnaie américaine au taux de change actuel et qui, au temps du Delmonico, nous coûtait un dollar.

Je suis assis dans la salle nord du Café. La foule passe devant les grandes fenêtres ouvertes et le bruit et l’agitation des taxis et des omnibus se répercutent. La salle a quatre panneaux de frise longitudinale. Dans celui du nord, je remarque, avant tout, le nom du grand « Morphy » ; le panneau du sud est consacré à « Philidor » ; celui de l’est à « de la Bourdonnais », et celui de l’ouest à « Deschapelles ». C’est un grand quadrumvirat et les noms mêmes et leurs souvenirs me font vibrer au moment où je trace ces lignes au crayon. 

 

 

 
 
 
 
 
 
 
Pour ma part, je pense que Rodney Berg décrit là le petit salon des échecs comme on le voit sur cette carte postale de la fin du XIXe siècle dont j’ai parlé ici. 
 
On distingue le nom de Philidor dans un cartouche.

 

 

 
 
 
 
 
À moins de 30 pieds de l’endroit où je suis assis, dans une pièce au sud, se trouve la petite table, religieusement gardée par le propriétaire, sur laquelle Napoléon le Grand, lorsqu’il était Consul de France, jouait aux échecs il y a plus d’un siècle et quart. Elle est grillagée et les amateurs d’échecs de toutes les parties du monde qui font de la « Régence » un haut lieu, liront les mots qui y sont inscrits, à savoir :
« Table sur laquelle BONAPARTE 1er CONSUL jouait aux Echecs au Café de la Régence en 1798 ».

La table sur laquelle figure cet avis est en marbre noir et blanc, large de deux pieds six pouces et longue d’environ quatre pieds. 

 

 

 
 
Photo de la table de Bonaparte tirée du livre Chessmen de 1937. Voir l’article que je lui ai dédié.

 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

 
En zoomant sur la photo on peut lire le même texte que celui de la lettre.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
La Régence annonce qu’il s’agit du plus ancien café de Paris. Il est sans doute le seul à être régulièrement fréquenté par les joueurs d’échecs. Il y a trois ou quatre autres endroits où l’on joue aux échecs, mais, pour autant que je puisse l’affirmer, seulement de façon superficielle, à l’exception du Café de la Rotonde. Un membre du Marshall, du Manhattan ou de tout autre club d’échecs métropolitain trouvera toujours un adversaire à la Régence. 
 

 

 
 
 
Voici une belle photo, que j’ai déjà publiée, du Café de la Rotonde en 1925. Agence Meurisse, Source Gallica.
Ce café n’existe plus.
Rodney Berg se trompe sur l’activité échiquéenne à Paris en 1925. Voir après la lettre.

 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
Le tout premier soir de mon arrivée ici, j’y ai naturellement gravité et j’ai remporté ma première victoire, même si j’avoue que lors de mes visites ultérieures, presque quotidiennes, j’ai souvent connu la défaite. J’y ai joué avec un Hollandais, un Sud-Américain et plusieurs Français. Et je me souviens ici d’une histoire racontée par M. Alrick H. Man, président du Marshall Chess Club qui, il y a plusieurs années, à la Régence, a rencontré un joueur d’échecs et n’a découvert que dans les journaux le lendemain qu’il s’agissait de Bonar Law , le défunt Premier ministre d’Angleterre !

Il y a quelques gravures historiques, j’ai remarqué, sur les murs de la Régence. Parmi elles, on trouve les suivantes : « Le Cercle des échecs de Paris », avec l’inscription en dessous, « La Régence en 1843 ». L’inscription sur la plaque indique que l’image décrit « le concours de championnat entre St. Amant et Staunton, les champions français et britanniques, le 16 décembre 1843, étant un portrait scrupuleusement correct des concurrents et de ceux qui étaient présents lors de la dix-neuvième partie du match ». En dessous se trouve un petit tableau encadré d’or donnant le nom des 34 personnes présentes, parmi lesquelles le général Baker, le baron Dumesnil et le général Duchaffault. 

 

Le fameux tableau de Marlet sur lequel j’ai écrit un article pour démêler le faux du vrai.

La lettre cite 34 personnes présentes, il s’agit donc d’une reproduction de l’œuvre originale.
Merci à M. Jurgen Stigter pour cette photo de l’œuvre originale de Marlet.

Une autre photo très intéressante est celle de Morphy jouant une partie les yeux bandés « dans le Café de la Napoléon » (Sic), et une autre montrant les principaux joueurs au Café Régence le 7 mars 1874, parmi lesquels figurent le Comte de Villafranca, de Polignac, Dermenon, Tournaud, Winaver, Kolisch, Lequesne, Tourgueneff, Gogorza, Preti père, le Baron d’André et le Comte de l’Eglise. 

 

 

Il s’agit de cette gravure parue dans le journal Le Monde Illustré du 7 mars 1874. Curieusement je me suis rendu compte que je n’en avais jamais parlé sur ce blog. Un point à rectifier 🙂
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
La direction est manifestement particulièrement courtoise envers les Américains et aidera toujours tout joueur des « États-Unis » à trouver un adversaire. Je n’ai pas manqué, dans la demi-douzaine de fois où j’ai visité la Régence au cours des dix derniers jours, de trouver un joueur et j’ai également eu le grand privilège d’enseigner à ma femme sa première partie d’échecs là-bas, une circonstance qui m’a donné autant de plaisir qu’elle y a accordé un rare intérêt.

RODNEY BERG.

Pour terminer, voici quelques précisions sur les cercles d’échecs parisiens en 1925.
Rodney Berg dans son texte écrit la phrase suivante : « (…) Il y a trois ou quatre autres endroits où l’on joue aux échecs, mais, pour autant que je puisse l’affirmer, seulement de façon superficielle, à l’exception du Café de la Rotonde (…) »
 

Bulletin de la FFE – Juillet 1925 – Fonds Mennerat, Belfort.

 
C’est une affirmation très sévère pour les échecs parisiens en 1925.
Le bulletin de la FFE pour juillet 1925 nous donne des informations sur plusieurs cercles parisiens affiliés à la FFE (ci-dessous la liste). Le Café de la Régence n’a jamais été affilié à la FFE, et il s’agit surtout d’un lieu où ce sont alors essentiellement les touristes qui y jouent aux échecs par tradition.
–    Les Échecs du Palais-Royal, alors au café de la Rotonde dans le jardin du Palais-Royal. C’est justement l’association qui a quitté le Café de la Régence en 1918.
–    Le Cercle Philidor, Café-restaurant de la Terrasse, 30, boulevard Bonne-Nouvelle. Un grand cercle parisien qui existe depuis plusieurs décennies.
–    Cercle des Échecs de la Rive Gauche – 133, boulevard Brune
–    Cercle des Échecs de Montmartre, « Le Fou du Roi », une nouvelle association qui n’existe que depuis deux ou trois ans à l’époque, mais très dynamique, notamment pour les échecs féminins.
–    L’Échiquier Notre-Dame, 1 rue d’Arcole
–    Cercle d’Échecs de Lutèce (ancien groupe de Ludo), angle de la rue Lacepède et de la rue Linné
–    Cercle d’Échecs des Buttes-Chaumont « Échec et mat », 1 rue Bolivar
–    Cercle d’Échecs « de la Tour prend garde », école polytechnique
 

 Bulletin de la FFE – Juillet 1925 – Fonds Mennerat, Belfort

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