Le Palamède 1836 – Page 23 – Supplément au bulletin de la bataille d’Iéna
Une société nombreuse et choisie m’accueillit comme un frère visiteur; le champ de bataille fut dressé; les trois plus fortes têtes du cercle me furent opposées. Dans les conversations qui précédèrent, je m’enquis des forts du club ; je demandai si quelque étranger de ma connaissance avait été admis avant moi. On me montra sur un registre une quantité de noms anglais, français et autres, dont aucun n’appartenait aux adeptes. Quel a été le vainqueur? dis-je alors aux membres du club. On a me répondit de partout et assez lestement que le club était en possession de gagner tout ce qui se présentait.
— Eh bien ! répliquai-je, il en sera autrement aujourd’hui.
On ne peut se faire une idée de l’agitation que mes paroles excitèrent dans le club. Des groupes nombreux se formèrent, et je n’entendis autour de moi que ces exclamations, que je comprenais fort bien, quoique allemandes : Voyez quelle jactance! quelle présomption ! II en sera puni.
Cependant le moment était venu de nous mettre aux prises; il fallut stipuler les conventions. Je déclarai d’abord que je n’avais jamais joué a but, et je proposai pion et deux traits. Quelle somme voulez-vous jouer ? me dit-on. Choisissez, leur répondis-je, depuis un franc jusqu’à cent louis. Alors on me fit observer que le club ne jouait jamais d’argent. C’était bien la peine de me demander le taux de l’enjeu pour arriver ensuite a ce singulier dénouement.
Enfin les trois plus forts joueurs se placèrent devant moi. Non-seulement ils dirigèrent la partie, mais j’avais autorisé chaque membre du club à les conseiller au besoin. Nous avions décidé que nous jouerions but ; ils avaient obstinément refusé l’avantage que j’offrais : je me résignai.
Le trait fut tiré, il m’échut. Je leur donnai le Gambit du Roi, qu’ils acceptèrent et défendirent. Comme j’avais été un peu aigri par tout ce qui venait de se passer, jé me levai au trentième coup, et leur dis, avec assez de raideur, qu’il était inutile de continuer la partie, et qu’après sept coups encore ils seraient mats, vérité triste que je leur démontrai sur-le-champ. Voici la position de ce problème dont je suis sûr, tout en regrettant de n’avoir pas aussi bien conservé les trente coups qui l’ont amenée.
Aux Blancs à jouer et à faire mat en sept coups.
Les membres du club se levèrent en masse, et, changeant tout à coup de ton et de manière, ils me demandèrent poliment leur revanche. En les voyant cette fois si modestes, je parus me radoucir et je restai.
Une seconde partie s’engagea. Ils eurent le trait et ils jouèrent le Pion de la Dame deux pas. La lutte fut plus longue cette fois-ci que la première, mais j’en sortis encore vainqueur. Je pris alors avec eux le ton du maitre parlant à ses élèves, et je leur démontrai les coups qu’ils ne pouvaient comprendre et qu’ils devaient étudier.
Mon corps d’armée quitta Berlin. J’y rentrai quelque temps après la bataille d’Eylau, et je rencontrai sur une des promenades de la ville plusieurs membres du club, qui m’engagèrent à les visiter une seconde fois. Je leur déclarai que je ne voulais plus jouer à but avec eux, qu’il était temps de faire cesser cette mauvaise plaisanterie, et que je n’engagerais d’autre partie qu’en leur imposant un avantage.
— Et lequel ? répondirent-ils.
— La Tour répondis-je sans hésiter.
— Jouerez-vous de l’argent en nous donnant la Tour ?
— Cent louis, si vous voulez. (NDA – Un joueur à qui on rend la tour est une mazette)
Ils reculèrent encore et ne voulurent pas exposer de l’argent. Bien leur prit : nous fîmes trois parties ; la première fut remise, je gagnai les deux autres. Le lendemain je partis pour Hambourg, et je n’ai plus revu mes Prussiens. »
Parmi les notabilités qui recherchèrent la partie d’échecs avec M. Deschapelles, il faut citer l’excellent roi de Hollande, Louis-Napoléon, frère de Napoléon 1er et père de Napoléon III, l’infortuné maréchal Ney, qui fut le protecteur de Deschapelles, et qui fit souvent sa partie, ainsi que le duc d’Abrantès. (…)
[Event « Cercle de Berlin »]
[Site « ? »]
[Date « 1806.10.?? »]
[Round « ? »]
[White « Deschapelles, Alexandre »]
[Black « Joueurs de Berlin »]
[Result « 1-0 »]
[SetUp « 1 »]
[FEN « 8/1p2Br1q/pk3p2/1p6/8/8/2Q5/K7 w – – 0 0 »]
[PlyCount « 13 »]
{[%evp 0,13,29987,29988,29989,29990,29991,29992,29993,29994,29995,29996,29997,
29998,29999,-30000] Les Blancs jouent et font mat en 7 coups.} {Fin des
parties de Deschapelles jouée à Berlin quelques jours après la bataille
d’Iéna, selon le témoignage de Deschapelles publié par saint-Amant dans le
journal « Le Sport » du 14 juillet 1858.} 1. Qc5+ Ka5 2. Qc3+ Kb6 3. Qd4+ Ka5 4.
Bb4+ Ka4 5. Be1+ Kb3 6. Qb4+ (6. Qc3+ Ka4 7. Qb4#) 6… Kc2 7. Qb1# 1-0
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