Curieux de voir comment serait traité notre beau jeu, je m’en fus pénétrer les mystères de la prise de vue. Au haut d’un long escalier. une assez grande salle forme studio, et, isolée dans un angle par des projecteurs, une fort curieuse reconstitution de la « Régence ».
Une table, des chaises, un porte-manteau, des pancartes apéritives représentant le célèbre café, du moins c’est ce qu’essaie de faire croire une belle pancarte.
Quelques amateurs de bonne volonté forment la figuration et suivent de leur mieux les instructions du metteur en scène qui fixe leurs attitudes et précise chaque jeu de physionomie.
Enfin on commence. On répète la première scène : une bande d’amis commande de la bière à un pauvre garçon de café qui se débat sans succès avec le drap qui lui sert de tablier. La bière arrive sous la forme d’une canette toute droite, toute fière, elle qui n’aurait jamais osé rêver pareil destin — figurer sur une table de la « Régence » !
La lumière est survoltée, les opérateurs règlent une dernière fois le diaphragme de leurs caméras ; un avertissement : on tourne… et, dans un silence que rompt seule la voix du metteur en scène, on entend le ronronnement léger des manivelles et le crachotement des rampes lumineuses.
Cette fois, les acteurs ont une petite compensation pour la chaleur de plus en plus intense que leur prodiguent les projecteurs : ils vident consciencieusement leurs verres emplis de bière… sous l’œil d’envie du garçon de café.
Mais, voilà la vedette. C’est notre joueur d’échecs qui arrive avec un échiquier sous le bras. Pauvre « Régence », qui n’a pas de jeu à offrir à ses clients !
Et les scènes, chaque fois recommencées, s’enchaînent. L’un des amis se sacrifie pour faire la partie du champion. L’on place les pièces… naturellement à l’envers. Cela, je l’attendais et je me permis d’intervenir.
La partie commence. Les caméras se rapprochent. Gros plans : la certitude souriante du champion, l’air inquiet de la mazette, l’attention concentrée de l’arbitre.
Le metteur en scène expose la suite du scénario. Vous la révèlerai-je ? Vous l’avez devinée. Oui, c’est cela : la mazette, par un heureux hasard, mate le champion. Colère de ce dernier, contestation, dispute, etc…
Ma curiosité satisfaite par ces révélations, je m’aperçus qu’il était tard, très tard même, et je remis à une autre fois mon apprentissage de cinéaste.
Ce sera la projection de ce film. Peut-être y aurai-je la surprise de voir que l’œil de la caméra aura su assimiler et combiner agréablement les images décousues qui déconcertèrent mes yeux de profane. Et je vous dirai si le mat final fut correct.
Pierre BISCAY
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