Nous recevons une lettre de M. Harrwitz, dans laquelle ce célèbre joueur d’échecs nous annonce son intention de venir se fixer à Paris, pour y occuper, comme professeur, la place laissée vacante par la mort de M. Kiéséritzky. Depuis deux ans, M. Harrwitz semblait avoir abandonné les échecs, et s’était retiré à Breslau peu après son match avec le hongrois Lowenthal; mais peut-on renoncer ainsi à la gloire d’être au premier rang, quand on est dans toute la force de son talent ; guérit-on si facilement de la passion pour les échecs ?
Retronews
L’Indépendance belge signale l’arrivée à Paris d’un des plus illustres joueurs d’échecs qui aient peut-être apparu dans ce monde à part, un Prussien, M. Harrwitz, qu’une organisation spéciale distingue entre tous. Philidor et La Bourdonnais n’avaient peut-être pas au même degré la faculté de jouer sans regarder l’échiquier. Harrwitz a conduit jusqu’à quatre parties à la fois de cette manière. Quelle que soit sa facilité, un pareil tour de force exige une tension du cerveau qui ne peut pas être sans danger. Mais dernièrement, chez le duc de B… et chez le prince A. B…., il a joué deux parties simultanément sans fatigue et sans efforts.
Evening Star – Washington DC du 7 avril 1857
Le Café de la Régence, à Paris, a été récemment la scène d’une extraordinaire démonstration de puissance échiquéenne. M. Harrwitz, le célèbre joueur, disputait, sans voir l’échiquier, deux parties en même temps contre deux joueurs du Club d’échecs de Paris.
Le Prince Antoine Bonaparte, le Duc de Brunswick, le Marquis de Carracciolo, le Comte Isoard, et un grand nombre d’amateurs et de membres du club, étaient présents, et ont suivi avec un intérêt inlassable jusqu’à la fin le merveilleux exploit d’abstraction mentale et de mémoire échiquéenne que M. Harrwitz a présenté à cette occasion sans, selon toute apparence, un effet harassant.
Pour mieux comprendre comment se sont déroulées les parties, nous pouvons dire que le Café de la Régence se compose de deux grandes salles au rez-de-chaussée ; l’une aménagée en café, proprement dit, et l’autre pourvue de tables de billard et aménagée en estaminet, où il est permis de fumer. Dans ces deux salles, qui sont ouvertes à tous, et où l’on joue aux échecs presque toute la journée, l’amateur est sûr de trouver à tout moment quelqu’un prêt à faire une partie. Mais au-dessus se trouve une série de salles réservées à l’usage du Club d’échecs de Paris, et c’est dans ces salles que s’est déroulée la merveilleuse démonstration dont nous parlons.
Au centre de la plus grande de ces pièces étaient placées deux tables, auxquelles étaient assis, chacun avec un échiquier et des pièces d’échecs devant lui, M. Lecrivain et M. P. (NDA – Est-ce Potier ? ou Jean Préti ?), le gentleman avec lequel M. Harrwitz devait engager un conflit pacifique. La pièce d’à côté, la dernière de la suite, était réservée au joueur à l’aveugle, avec tout son aménagement, consistant simplement en trois ou quatre chaises et une table dans un coin sur laquelle étaient placés du vin, du sucre et de l’eau, et d’autres rafraîchissements, ainsi que du matériel d’écriture, pour permettre au monsieur, qui faisait office de secrétaire, de noter les coups lorsqu’ils étaient décidés.
La porte de communication entre les deux pièces était maintenue ouverte pendant tout le temps, de sorte que tout le monde pouvait voir que non seulement M. Harrwitz n’avait aucun moyen d’aider sa mémoire par un quelconque objet étranger ou tangible, mais que tout contact avec d’autres personnes était absolument impossible. Tout autour des autres pièces, des tables d’échecs étaient disposées, sur lesquelles les amateurs invités à être présents suivaient les coups au fur et à mesure qu’ils étaient joués. Tout étant déclaré prêt, vers 9 heures et demie, le jeu commença. La manière dont les coups ont été annoncés est la suivante :
M. Lequesne, qui avait aimablement consenti à servir de secrétaire, après avoir reçu ses instructions de M. Harrwitz, écrivait les coups pour les deux parties, puis, entrant dans l’autre pièce et disant « Première partie », il spécifiait le coup fixé pour celle-ci ; ensuite, disant « Deuxième partie », il agissait de la même manière pour celle-ci. Les coups, ainsi nommés, étaient alors joués sur l’échiquier, et les deux adversaires étudiaient la réponse à donner. Lorsque les deux messieurs étaient décidés, M. Lequesne notait les coups comme précédemment, puis à son tour annonçait à M. Harrwitz, exactement de la même manière, le coup ainsi donnée dans chaque cas.
La partie la plus longue, dans laquelle le jeu fut remarquable de qualité des deux côtés, dura trois heures et demie, et du début à la fin de ce long espace de temps, pendant lequel la tension sur la mémoire a dû être énorme, M. Harrwitz (rapporte Galignani) n’a jamais semblé embarrassé le moins du monde à un seul moment, et il n’a pas tardé plus longtemps dans ses coups qu’il ne l’aurait fait, probablement, dans une partie ordinaire, en regardant l’échiquier. Les réponses venaient certainement plus rapidement de son côté que de l’autre pièce, M. Lecrivain prenant un temps considérable pour examiner chaque position et jouant avec une grande prudence. M. P., au contraire, bougeait tout de suite, et étant naturellement un joueur rapide, il était bientôt fatigué par le temps pendant lequel il était obligé de rester inoccupé en attendant les décisions de M. Lecrivain. C’est très probablement à cette circonstance qu’il faut attribuer le fait qu’il n’a nullement égalé son jeu habituel. Il était plus d’une heure lorsque M. Harrwitz entra dans la salle générale, après avoir gagné les deux parties. Il se déclara alors peu fatigué et, en réponse aux observations qui lui ont été faites, il commença à expliquer différents aspects de ses deux parties.
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