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Match Paris-Londres par correspondance

Avec la rivalité entre les deux pays, la France et l’Angleterre, le fait de montrer sa supériorité par une joute intellectuelle comme le jeu d’échecs apparait comme étant d’une grande importance, surtout quelques années seulement après la cinglante défaite de Waterloo.
Le seul portrait connu à ce jour de La Bourdonnais – Le Palamède 1842
La première tentative d’un match par correspondance semble être à l’initiative des Français en fin d’année 1823, et plus particulièrement de la part de La Bourdonnais. Malheureusement le match n’aura pas lieu.
Il faudra attendre 1834 pour qu’une deuxième tentative aboutisse, avec une victoire totale des joueurs Français…
Voici quelques extraits de journaux de l’époque au sujet du match avorté. Détail intéressant, on y apprend qu’il existait alors à Paris un Cercle Philidor, au-dessus du Café de la Régence, à ne pas confondre avec le Cercle Philidor qui sera fondé dans les années 1880 à Paris et qui subsistera jusqu’à la deuxième guerre mondiale.
 
La Bourdonnais est appelé « le second joueur d’échecs de Paris » par les Anglais, le premier étant Alexandre Deschapelles qui se retira peu de temps après des échecs, pour revenir en 1836.

14 février 1824 Journal des débats – Retronews
Le club des échecs de Paris a invité le club des échecs de Londres à jouer une partie. L’enjeu est de 50 guinées. Deux comités de cinq membres dirigent les opérations de cette guerre pacifique. Les mouvements sont transmis d’une capitale à l’autre par la poste.
 
Le Journal des débats est alors un peu en retard sur l’actualité, car en fait le match est déjà annulé, comme on l’apprend dans Le Pandore du 23 février 1824.
 

GUERRE ENTRE LA FRANCE ET L’ANGLETERRE.
 
Quoique la politique nous soit interdite, nous osons annoncer avec assurance que la guerre s’est rallumée entre la France et l’Angleterre. Le Courrier anglais avait déjà parlé du défi porté par le club des Échecs de Paris, nommé le Cercle de Philidor, au Chess-club de Londres; les mouvements devant être transmis par la poste ou par courriers extraordinaires.
 
Le défi a été accepté, et cinquante guinées ont été déposées pour l’enjeu. Mais il parait que la discorde s’est introduite dans le Cercle de Philidor, qui est sur le point d’être dissous. En conséquence , M. de la Bourdonnaye , qui est le second joueur d’échecs de Paris (second player in Paris), a rompu la gageure.
Deux parties devaient être jouées en même temps ; les Français enraient eu le premier coup dans l’une, et les Anglais dans l’autre ; et l’on a calculé que, si les coups étaient transmis par la poste , ces deux parties auraient duré environ un an. 
Un enthousiaste des échecs du club de Londres a prétendu que l’honneur national était compromis dans une telle affaire , et que les ministres devraient rétablir les communications télégraphiques entre les deux pays pour cet objet spécialement.
Ce projet abrégerait considérablement la durée de ces parties, et ne coûterait aux deux pays que la bagatelle de dix mille livres sterlings ( 250,000 francs). 
Et finalement le club de Londres jouera un match contre un cercle Écossais comme nous l’apprend un journal Britannique parmi d’autres.

13 mai 1824 – Devizes and Wiltshire Gazette – Article que j’ai partiellement traduit en Français

Nous avons indiqué il y a quelque temps que le Club d’échecs de Paris, appelé le Cercle de Philidor, avait lancé un défi au Club d’échecs de Londres pour toute somme que ce dernier pourrait désigner ; les coups devaient être transmis soit par la poste, soit par des courriers extraordinaires.
Le London Chess-Club accepta le défi, nomma un comité de ses propres membres pour diriger les coups, et proposa que la mise soit de 50 guinées par partie. Une réponse fut renvoyée par M. Labourdonnaye, le premier joueur d’échecs de Paris, qui envoya le défi de la part du Club français, déclinant le match, au motif que le Cercle de Philidor était sur le point de se dissoudre.

 
En 1836, La Bourdonnais lance son journal d’échecs Le Palamède, et un des tous premiers articles qu’il rédige est consacré justement au match entre Paris et Londres par correspondance, match commencé deux années auparavant en 1834. La Bourdonnais nous parle également des évènements de la fin d’année 1823. 
 

Le Palamède 1836

UN DÉFI PAR CORRESPONDANCE.
 
On a beaucoup entendu parler de ces interminables parties d’échecs qu’on se léguait eu mourant, en Espagne surtout ; aussi, plusieurs fois on est venu me demander s’il était vrai que j’eusse accepté de continuer une partie par correspondance commencée par Philidor il y a soixante ans. A diverses époques, de forts amateurs d’échecs, séparés par de grandes distances, ont effectivement joué par lettres. 
En 1821, quelques amateurs formèrent un cercle au-dessus du café de la Régence, et le nommèrent cercle de Philidor. M. Deschapelles en était le président , et moi le secrétaire. Nous envoyâmes un défi au club de Londres, laissant nos adversaires maîtres de fixer la somme qu’ils voulaient engager. Les Anglais nous répondirent au bout de trois mois. Dans l’intervalle, quelques divisions s’étaient glissées dans notre cercle, dont le local était trop rétréci. Nous nous trouvâmes dans la nécessité de suspendre le défi. Les journaux anglais s’étaient beaucoup occupés de cette petite guerre ; dès qu’ils virent qu’elle ne s’engageait pas, ils dirent que probablement les Français avaient craint une seconde journée de Waterloo. 
Alors je me décidai à partir pour l’Angleterre, et bien qu’à cette époque je ne fusse regardé que comme de seconde force en France, je donnai un défi à tous les joueurs d’Angleterre. Ils acceptèrent et furent battus.
 
Il y a deux ans, un club d’échecs de Paris a proposé un défi à un club de Londres ; le défi a été accepté, et l’une des parties, la première, a déjà été perdue par les Anglais; l’autre continue, et nous parait belle. Le défi ne se compose que de deux parties. MM. Boncourt, Saint-Amant, Alexandre et Cbamouillet ont supérieurement conduit le jeu français. 
 
Voici les deux parties de ce match entre Paris et Londres, match commencé en 1834 et achevé en 1837 par deux victoires.La partie où Paris est le joueur en second est particulièrement intéressante d’un point de vue historique.C’est en effet après cette partie que la partie du pion Roi un pas devient la partie Française…
Une défense particulièrement appréciée par le joueur Jacques François Mouret qui en était le promoteur. 
 
La première partie est commentée par La Bourdonnais, et la seconde par Saint-Amant, dont les commentaires sont particuliers 🙂
[Event « Correspondance »] [Site « ? »] [Date « 1834.??.?? »] [Round « ? »] [White « Londres »] [Black « Paris Cercle des Echecs »] [Result « 0-1 »] [ECO « C01 »] [Annotator « de la Bourdonnais »] [PlyCount « 54 »] {A noter qu’en fait le club de londres avait les noirs et le trait. Pour une lecture moderne de la partie je leur donne les blancs – JOL.} 1. e4 e6 2. d4 d5 3. exd5 exd5 4. Nf3 Nf6 5. Bd3 c5 6. Qe2+ {Ce coup de la part des blancs est une faute. Cet échec fait sortir une pièce aux noirs et place la dame devant le roi, position souvent dangereuse.} Be7 7. dxc5 O-O 8. Be3 {Les blancs, en jouant ce coup, veulent défendre le pion qui a pris le gambit de la dame, et cette défense est très dangereuse; ils auraient mieux fait de roquer et d’abandonner le pion.} Re8 9. Bb5 {Ce coup est très mal joué, il ne sert qu’à faire dégager le jeu de son adversaire.} Nc6 10. Nd4 {En portant à cette case leur cavalier, les blancs pensent gagner un pion ou forcer les noirs à un coup de défense; ils se trompent de nouveau, les coups suivants vont le démontrer} Bxc5 11. Bxc6 {Si les blancs avaient pris le cavalier avec leur cavalier, les noirs n’auraient pas dù reprendre, mais porter leur dame à la troisième case de son cavalier; par ce coup, ils auraient repris leur pion avec une excellente position.} (11. Nxc6 Qb6 $1) 11… bxc6 12. c3 {Les blancs ne peuvent prendre le pion avec leur cavalier, car s’ils le faisaient, les blancs, en jouant leur dame à la 3è case de son cavalier, gagneraient une pièce} (12. Nxc6 Qb6 $1) 12… Bxd4 13. cxd4 c5 14. Qd3 {C’est ici que l’on peut voir combien la position de la dame blanche devant son roi était dangereuse. Les blancs, sur ce coup, en portant leur dame à sa 3è case, jouent encore fort mal; elle eût été mieux placée à sa deuxième case.} Qb6 15. O-O Ba6 16. Qb3 Qxb3 17. axb3 Bxf1 18. Kxf1 Ng4 19. dxc5 Nxe3+ 20. fxe3 Rxe3 21. Nd2 Rae8 22. b4 Rd3 23. Rxa7 {Les blancs, en prenant ce pion et en abandonnant leur cavalier, terminent par une faute grave une partie fort mal jouée dès le début. S’ils voulaient continuer la partie qu’ils devaient perdre infailliblement, il fallait conserver ce cavalier; en le perdant, ont-ils cru pouvoir conduire à dame leurs pions, c’est difficile à croire; il s’est toujours écoulé quinze jours entre chaque coup de cette partie, et il ne faut pas quinze minutes pour voir que les noirs arrêteront facilement les pions des blancs dans leur marche, et resteront avec une tour de plus. Au reste, si toutes les parties par correspondance devaient être jouées ainsi, il faudrait renoncer à ce mode, car cette partie n’est certainement pas un modèle, et ne peut faire faire aucun progrès au jeu; cependant elle a duré près de deux ans.} Rxd2 24. b5 Rxb2 25. b6 d4 26. b7 d3 27. Ra8 Kf8 {Dans cette position, le club de londres a abandonné la partie comme perdue.} 0-1 [Event « Correspondance »] [Site « ? »] [Date « 1834.??.?? »] [Round « ? »] [White « Paris Cercle des Echecs »] [Black « Londres »] [Result « 1-0 »] [ECO « C56 »] [Annotator « Saint-Amant »] [PlyCount « 78 »] 1. e4 e5 2. Nf3 Nc6 3. Bc4 {Il y a eu hésitation pour savoir si nous ne jouerions pas le pion de la reine deux pas. C’est un sacrifice momentané qui amène une belle attaque, et dont un exemple se trouve dans les parties jouées il y a quinze ans entre Londres et Edimbourg.} Bc5 4. c3 {Ici se présentait l’occasion de jouer la partie inventée par un Anglais d’une force remarquable, le capitaine Evans. Elle consiste à sacrifier le pion du cavalier de la reine. On retrouve au moins l’équivalent de ce pion dans les avantages de la position quand on joue contre un adversaire qui ne connait pas bien la défense. Ici ce n’était pas le cas.} d6 5. d4 exd4 6. cxd4 Bb6 7. h3 {Le coup a été fortement critiqué par les supériorité d’Angleterre. Nous avons été accusés de jouer un coup de défense, lorsque, ayant eu le trait, nous devions pousser vivement l’attaque. Il est très vrai que c’est un coup de prévoyance; mais on est souvent obligé d’aiguiser ses armes dans l’ombre pour amener les coups qu’on doit porter plus tard jusqu’au coeur de son ennemi. En poussant ce pion de la tour du roi, on évite l’arrivée du fou de l’adversaire, qui, venant se poser à la quatrième case du cavalier de votre roi, gêne votre jeu en forçant trois ou quatre coups de défense, qui font nécessairement diversion à l’attaque et changent momentanément les rôles. Du reste, les blancs n’ont pas eu un seul moment à se repentir d’avoir poussé ce pion, et ils attendent encore la démonstration de la critique un peu hasardée dont on les a poursuivis jusque dans les journaux anglais.} Nf6 8. Nc3 O-O 9. O-O Re8 10. a3 h6 11. Re1 a6 12. b4 Re7 {Sans chercher à blâmer ceux que nous devons nous contenter de gagner, il est permis de trouver ce coup assez faible. Il est la perte bien réelle de deux temps, car cette même tour devra s’en retourner au quinzième coup lorsqu’elle sera attaquée par le cavalier des blancs. On peut considérer ce ocup comme un de ceux qui ont contribué à donner mauvais jeu aux noirs. Cette partie française ne sera pas perdue comme l’autre par de grosses fautes. Les nuances sont ici plus délicates, aussi la partie sera-t-elle toujours plus remarquable que la partie anglaise.} 13. Ra2 Ba7 14. Rae2 Nh7 15. Nd5 Re8 16. Nf4 Ng5 17. Qb3 Ne6 18. Nxe6 fxe6 19. Bb2 Nb8 {Rentrer ainsi dans son jeu parait encore une perte de temps, puisque ce cavalier reviendra au vingt-deuxième coup occuper la case qu’il vient d’abandonner au dix-neuvième. Peut-être aussi est-ce une nécessité cruelle imposée par la position. Les noirs doivent craindre de voir pousser le pion de la reine, qui forcerait le pion de leur roi et donnerait une entrée dangereuse dans le jeu.} 20. a4 Bd7 21. Qc2 Re7 22. Ba2 Nc6 23. Bc3 Rf7 24. d5 Rxf3 25. dxe6 Qh4 26. exd7+ Kh8 27. Be6 {Il est évident qu’en prenant la tour avec le pion du cavalier du roi on gagnerait la pièce; mais alors les nours avaient la remise en donnant échec au roi à la sixième case du cavalier de leur roi. Ayant une tour de moins, ils se contentaient forcèment de cet échec perpétuel. Ils n’en eussent pas moins perdu le défi, puisque nous avions gagné l’autre partie; mais l’amour-propre était moins froissé. Ce sentiment, qui leur faisait désirer une défaite plus prompte mais moins complète, nous a empêché d’y consentir. Notre partie étant encore meilleure que celle de nos adversaires, nous avons voulu combattre et remporter une pleine victoire. Négligeant donc la question financière, nous montrons l’ambition de gagner les deux parties. Jusqu’à présent les chances sont belles, et, sans trop de présomption, on peut se flatter de voir le succès couronner la noblesse de l’intention. Il n’y a pas eu unanimité parmi les actionnaires sur la manière d’apprécier la conduite de la commission. Si la responsabilité doit peser plus particulièrement sur un membre de la commission, l’auteur de cet article ne la décline pas; il a été conséquent avec l’esprit dans lequel il a toujours envisagé le défi: secondaire sous le point de vue pécuniaire (quoiqu’il soit le plus fort actionnaire), mais essentiel surtout comme suprématie nationale.} (27. gxf3 Qg3+) 27… Qg3 28. Ba1 Raf8 29. Bf5 Bb6 30. Qd2 Rf4 31. Rc1 Qg5 32. Kh1 Rxf2 {On reprend le pion qu’on avait de plus; mais on le regagnera plus tard, et en attendant, on a fait doubler le pion du cavalier, ce qui sera un grand désavantage pour les noirs.} 33. Qxg5 hxg5 34. Rxf2 Bxf2 35. b5 {La partie en est là aujourd’hui. Nous attendons la réponse à notre trente-cinquième coup. Notre jeu est très beau; il n’y a qu’une distraction qui puisse le compromettre. Dans les exercices que font les divers amateurs en jouant entre eux cette partie, c’est presque toujours le jeu des blancs, même dirigé par une force inférieure, qui gagne la partie. Aussi dans notre camp est-on plein de confiance, et les actions sont considérablement à la hausse. On peut espérer la solution dans une quinzaine de coups, ce qui fera encore une année, et comme nous commençâmes en février 1834, si nous ne terminons qu’au printemps 1837, ce sera un peu plus de trois ans. On sent bien que de pareilles parties ne peuvent se recommencer tous les jours. En voilà sans doute pour quelques années, et ce seront nos neveux qui offriront la revanche. Il est un témoignage que nous nous plaisons à rendre publiquement à nos adversaires, c’est qu’ils ont été très beaux joueurs et que nos rapports avec eux nous ont été extrêmement agréables. Notre courtoisie n’a pas dégénéré depuis cent ans, et l’esprit révolutionnaire des deux pays ne leur a pas fait négliger les procédés chevalresques de leurs ancêtres dans cette seconde bataille de Fontenoi. Saint-Amant} axb5 36. axb5 Nd8 37. Rxc7 Kg8 38. Bg6 Bb6 39. Rc8 Ne6 { le club de Westminster a laissé passer le délai fixé pour répondre, nous devons croire qu’il a abandonné la seconde partie, qui était au reste dans un état désespéré} 1-0

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